Quelles séquelles gardez-vous de votre accident ?
En 2009, alors que je dirigeais une colonie de vacances en Corse, la moitié d’un eucalyptus m’est tombé dessus lors d’un pique-nique. J’en ai gardé des morceaux de vertèbres lombaires cassés et des faiblesses musculaires, qui entraînent des douleurs chroniques et de la fatigue chronique. J’ai aussi eu les nerfs de la jambe gauche écrasés. Dans mon malheur, j’ai eu pas mal de chance : cela aurait pu être bien pire.
Comment s’est faite la reconstruction ?
J’ai été hospitalisée sur place pendant plusieurs jours, et, de retour sur le continent, j’ai entamé une longue rééducation à l’hôpital des Peupliers (ce n’est pas une blague !), et des soins à l’unité anti-douleurs de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. Aujourd’hui, j’ai la RQTH et continue à être suivie par des médecins et des kinés. Chaque jour, j’ai plus ou moins mal, sauf sur scène, où la douleur disparaît grâce à l’adrénaline. Mais, après cela, je suis à ramasser à la petite cuillère !
Avez-vous eu le sentiment d’être incomprise, à cause de votre handicap invisible ?
Parfois, mes proches l’oublient. Mais lorsque j’ai de grosses douleurs, ils le perçoivent immédiatement. Cela se voit sur mon visage, je ne peux pas feindre. Dans mon métier, j’ai commencé par le dire, avant de le cacher pendant longtemps pour obtenir des contrats. En effet, les gens jugeaient à ma place de ce que j’étais capable de faire ou de ne pas faire, ce qui m’empêchait d’accéder à certains rôles.
Comment est née l’idée d’en faire un spectacle comique ?
En racontant mon histoire, je me suis rendu compte qu’elle faisait rigoler les gens. C’est tellement improbable, tellement gros de se prendre un arbre que c’en est drôle ! Mon entourage et mon compagnon, Éric Desport, qui est metteur en scène, m’ont dit que ce serait sympa d’en faire un objet artistique. J’ai donc commencé à écrire ce spectacle que j’ai voulu drôle. C’était le bon moment : l’accident avait eu lieu neuf ans auparavant, et j’avais accepté mon handicap.

L’humour permet-il de parler plus facilement d’un sujet grave comme le handicap invisible ?
Je le pense. D’autant que l’humour est dans ma nature. J’aime faire rire de situations improbables. Comme son nom l’indique, le handicap invisible ne se voit pas. Il y a une réplique dans mon spectacle qui dit que le plus difficile, avec le handicap invisible, ce sont les gens, car ils ne vous croient pas. J’ai mille anecdotes à ce sujet-là.
Racontez-nous en une.
J’étais au festival Jazz à Vienne, près de Lyon, dans un espace réservé aux personnes à mobilité réduite. Une dame d’un certain âge est venue s’y asseoir alors qu’elle n’y avait pas droit. Lorsqu’un membre du festival le lui a fait remarquer, elle m’a désigné du doigt en disant que je n’étais pas handicapée non plus. Lorsque je lui ai montré ma carte, elle m’a demandé comment faire pour en avoir une !
À travers « Ça sent l’eucalyptus », que souhaitiez-vous dire sur le handicap invisible ?
Le message de mon spectacle est de ne pas juger un livre par sa couverture, d’être un peu plus ouvert et attentif aux autres. Mais, pour être honnête, quand j’ai commencé à travailler dessus avec mon co-auteur, François Szabowski, et mon compagnon, à la mise en scène, je ne pensais pas du tout au handicap invisible. Ce n’est qu’aux premières représentations que je me suis rendue compte qu’il permettait de sensibiliser à cela, car j’y raconte mon quotidien, qui n’est pas toujours simple.
Comment réagissent vos spectateurs ?
Après le spectacle, certaines personnes me remercient, me disent qu’elles ont compris des choses, et qu’elles vont faire plus attention. D’autres, qui sont en situation de handicap, se sentent moins seules et y trouvent l’énergie pour mener certaines démarches. Je dialogue aussi beaucoup sur mes réseaux sociaux. Tous ces échanges me font plaisir, je me sens utile.
Quand rejouerez-vous votre seule-en-scène ?
Je viens de le jouer au Festival d’Avignon et serai en tournée en octobre, novembre, décembre et mars, partout en France. Toutes les dates sont indiquées sur mon site marjolaine-pottlitzer.com et sur mon compte Instagram @marjolainepott.
Quels sont vos projets ?
Tout d’abord, continuer à jouer le plus possible « Ça sent l’eucalyptus », que ce soit dans des salles de spectacle ou en entreprise pour sensibiliser au handicap invisible, comme je l’ai fait chez Schneider Electric, en 2024.
Je prévois aussi de passer des castings. Je viens de tourner un court-métrage en Belgique, qui s’appelle « C’est pas ta place », et qui traite également du handicap invisible (www.facebook.com/cestpastaplace). Le parti pris des réalisatrices a été de faire jouer à une comédienne valide le rôle d’une personne en situation de handicap invisible, et à moi celui d’une personne valide. Le film sera accessible sur les plateformes. Enfin, je prépare un autre seule en scène qui aura pour thème le handicap et la maternité. J’en suis au tout début et vais essayer de trouver des subventions pour le développer.